Journée de l’écrivain en prison: 15 novembre 2016, Librairie Albatros

Lettre lue

Texte de Benoît Müller, avocat à Genève, en faveur de la libération d’Asli Erdogan, à l’occasion de la journée internationale en faveur des écrivains emprisonnés, pour l’événement de PEN Suisse à Genève le 15 novembre 2016

J’ai eu la chance de rencontrer Asli Erdogan lors de mon assistance aux procès d’écrivains et d’éditeurs emprisonnés en Turquie à la fin des années 90/début des années 2000 en ma capacité à l’époque de conseiller juridique puis secrétaire général de l’Union internationale des éditeurs. Asli, comme moi, assistait à ces procès et prêtait main forte à ses confrères persécutés. Aujourd’hui, c’est elle qui est dernière les barreaux, victime d’accusations manifestement non fondées, et qui a besoin de notre aide.

Danseuse de ballet, docteur en physiques, romancière et poète, Asli est une grande intellectuelle avec une infinie sensibilité. Sa vie et son œuvre témoignent d’un engagement sans faille contre les injustices et pour le respect des valeurs humaines et démocratiques universelles. Elle fait partie de ces auteurs qui n’avaient pas le choix : pourtant destinée à une brillante carrière scientifique, subjuguée par un besoin irrépressible d’exprimer son opinion et sa sensibilité, elle se consacra courageusement à l’écriture.

C’est à Genève, en 1992, m’a-t-elle confessé, qu’elle fit ce choix. Alors doctorante au CERN, elle prit l’habitude de se balader le soir dans nos rues et dans les cafés qu’elle affectionnait et rédigea alors, les esquisses de son roman Le Mandarin miraculeux, publié en traduction française par Actes Sud. Lisez-le, je vous le conseille. Vous verrez, elle ne brosse pas un portrait de notre cité au gout de l’Office du tourisme. Mais quelle description intéressante de la perspective d’une jeune turque au début des années 90, témoignant déjà de sa grande sensibilité humaine et artistique, de sa vision critique et de son imagination ! Et quel style, déjà, percutant, poétique, sérieux mais drôle…

Pas étonnant donc que de retour en Turquie Asli Erdogan ne put s’empêcher de mettre sa plume au service des combats contre les injustices. S’exprimant alors déjà dans les colonnes de la presse engagée, elle fut parmi les premières à oser ouvertement dénoncer les conditions de détention inacceptables d’opposants politiques et intellectuels critiques au régime. Cela lui valut des menaces de mort et des conditions de vie difficiles qui la forcèrent à plusieurs exils temporaires en Europe, où elle fut toujours accueillie les bras ouverts en résidence pour écrivains, y compris à Zurich en 2012-2013.

Comme elle le relève elle-même dans sa récente lettre à la Radio Télévision Suisse alémanique, cela est bien tristement ironique que Asli Erdogan, dont tout l’engagement littéraire est contre les violences et pour le respect des sensibilités, droits et libertés des femmes et des hommes, soit aujourd’hui incarcérée et accusée, pour le seul fait de quatre articles, certes critiques mais en aucun cas incitatifs à la violence, de « destruction de l’unité et de l’intégrité de l’Etat » et « appartenance à une organisation terroriste armée » !

Asli est d’une immense force mentale et morale mais aussi d’une grande sensibilité et de santé fragile. Au début de sa détention, elle fut privée d’eau et de médicaments. Il semblerait que ses conditions de détention soient quelque peu meilleures aujourd’hui, mais elle ne peut librement correspondre et n’a toujours pas droit à des visites autres que celles de sa mère, déjà âgée et pour qui cela est très éprouvant, et de ses avocats. D’autres problèmes nous ont été rapportés qui nous font craindre pour son état, ce qui est insupportable pour quiconque l’a connue.

Bien que j’aie quelque peu perdu le contact avec elle ces dernières années, je ne pouvais rester sans rien faire. Vous qui, comme Asli Erdogan, savez quel est le sacrifice d’une vie consacrée à l’écriture, et comme moi, connaissez le combat des journalistes, écrivains et éditeurs engagés, vous qui, comme l’a récemment rappelé Monsieur le Conseiller fédéral Burkhalter à son homologue turque, appréciez l’importance du respect du droit à la liberté d’opinion et d’expression pour le fonctionnement d’une société démocratique, faites vivre l’œuvre d’Asli Erdogan, lisez-la, parlez-en et de son cas. Participez à la formidable campagne du PEN et agissez pour la libération d’Asli Erdogan si vous le pouvez. Comme le dit si bien la campagne spontanément lancée par la RTS alémanique cet été citant une lettre d’Asli rédigée depuis sa prison : « Vergesst mich nicht und meine Bücher es sind meine Kinder ». Merci.

Résumé de la conférence de Juan Gaspari